Dans la 1ere partie de l'article, nous avons vu en quoi l'immersion est un atout incontournable de la simulation, en particulier pour la formation des pilotes. Nous verrons maintenant comment la créer de façon optimale, c'est à dire comment rendre les sens plus réactifs aux stimuli du milieu simulé qu'à ceux du milieu réel.
Comment obtenir une immersion satisfaisante ?
Les technologies actuelles permettent d 'obtenir un très haut niveau d' immersion pour les simulations de pilotage d’avion, surtout si l ’on se restreint aux avions de tourisme où les facteurs de charge restent dans des valeurs représentables.
1er sens pour créer l'illusion : la proprioception
Avoir les bonnes commandes aux bons endroits
La proprioception est la capacité du corps humain à avoir conscience de sa posture (de la position de ses membres les uns par rapport aux autres). C ’est grâce à ce sens que nous sommes capables d'effectuer des opérations très compliquées avec nos membres sans avoir à les regarder. De la même manière qu’un automobiliste est capable d’actionner la commande des clignotants sans quitter la route des yeux, le pilote d'un avion doit être en mesure d’actionner toutes les commandes de son aéronef de manière réflexe, sans avoir à les chercher.
C'est pourquoi la première chose à travailler pour réaliser un simulateur de pilotage immersif est le positionnement du pilote ainsi que celui des commandes qui lui sont mises à disposition.
Les commandes généralement reproduites dans un simulateur de pilotage d’avion correct sont :
- La commande de roulis/tangage soit par un manche, soit un yoke (volant à deux axes)
- La commande de puissance moteur (commande des gaz, sous forme de manette ou de levier)
- La commande de lacet par un palonnier
Ces trois commandes constituent le minimum vital pour le pilotage d’un avion, on peut y ajouter dans un second temps d’autres commandes utiles telles que :
- Les commandes de volets,
- La richesse de carburation,
- Le pas d’hélice,
- Les aérofreins,
- Les trains rentrants.
De nos jours, l’ensemble de ces commandes sont disponibles sous forme de périphériques de simulation. Elles reprennent de manière très réaliste l’ergonomie de leurs équivalents réels.
De même, le siège du pilote devra être sélectionné pour lui offrir une position la plus proche possible de celle qu’il aurait dans le siège pilote d’un avion. Ainsi, il aura le même geste à effectuer, pour réduire la puissance moteur, qu’il soit aux commandes d’un avion réel ou simulé.

2e sens à leurrer : La vue
Bien que nous en parlions ici en deuxième, la vue est bien le premier sens utilisé dans le pilotage d’un aéronef (tout comme pour la quasi-totalité des actions humaines…). Chez l ’humain, la vue est le premier sens utilisé (80% de la charge mentale dédiée au sens l’est pour la vue).
Simulation sur écran seul : Immersion minimale
Par défaut, sur un simulateur de pilotage, ce sens n ’est stimulé que par un écran situé face au pilote. Ce qui induit énormément de limitations par rapport à la même expérience dans le monde réel :
1. Pour rester cohérente et assurer une bonne immersion, la vue représentée sur l’écran doit respecter le champ de vision de l’utilisateur. La taille de l’écran limite donc le champ de vue simulé qui se retrouve très étroit par rapport à la réalité. Les pilotes d’avion simulé ressentent alors la même difficulté que les opérateurs de drones en pilotage FPV (First Person View, c'est à dire Vue à la première personne) : celle de piloter un véhicule en regardant à travers des rouleaux d'essuie-tout…
2. Les yeux ainsi que la tête sont mobiles tandis que l’écran est fixe. Durant un vol, le regard du pilote va fréquemment se déplacer du tableau de bord à la vue externe et sur les côtés. Avec un écran unique placé face au pilote, ces actions ne sont réalisables que par des astuces consistant à déplacer le point de vue virtuel via des commandes supplémentaires (généralement, un bouton deux axes sur le joystick est utilisé pour tourner le regard). Ces astuces bien que pratiques sont un obstacle à l’immersion car le pilote doit agir différemment dans le monde virtuel par rapport au monde réel.
Passage au multi-écrans
La manière la plus courante de pallier les problèmes susmentionnés est le passage à une configuration multi-écrans.
La principale configuration multi-écrans consiste à en placer trois côte-à-côte pour élargir le champ visuel horizontal. Un quatrième écran peut également être ajouté sous l’écran central pour l’affichage du tableau de bord. Cette solution très efficace permet d’élargir grandement le champ de vision tout en permettant de reproduire les trajets visuels du pilote.

(image projectimmersion.com) Pour une meilleure immersion, il est important de respecter le champ visuel naturel de l'œil. Ce qui sur un seul écran limite le visuel à la verrière avant, directement face au pilote ainsi que le haut du tableau de bord.

Acquisition du mouvement de la tête : Track IR
Cette seconde méthode, qui peut être combinée à une configuration multi-écrans, permet également d’élargir le champ de vue en prenant en compte la position de la tête du pilote par rapport à (aux) l’écran(s).
Le principe est le suivant : un système optique (généralement une caméra infra-rouge) va détecter la position et l’orientation de la tête de l’utilisateur au moyen d’une cible positionnée sur sa tête. Le simulateur va alors orienter la caméra virtuelle de la même manière. Ainsi, quand le pilote tourne la tête vers son aile gauche, le ou les écrans vont lui présenter une vue virtuelle regardant par la fenêtre gauche de la cellule de l’avion.
Cela apporte un champ de vision plus large qu’une solution multi-écrans seule, mais avec une immersion en retrait… En effet, bien que l’utilisateur retrouve la possibilité de déplacer son regard avec la tête comme dans le monde réel, cet effet est perturbé par le fait qu’il soit obligé de conserver son regard dans la direction de l’écran.
Immersion visuelle ultime : Casque de Réalité Virtuelle
Depuis quelques années, l’essor des casques de réalité virtuelle (ou casques VR pour Virtual Reality en anglais) offre une excellente solution pour obtenir une immersion visuelle de haute qualité.
Un système de positionnement 6DOF (position et orientation) permet au simulateur de connaître parfaitement l’orientation de la tête de l’utilisateur à tout moment. Celui-ci va alors produire deux images correspondant aux points de vue de chaque œil de l’utilisateur et les afficher sur des mini-écrans intégrés directement devant ses yeux. Les deux yeux étant traités de manière individuelle, la stéréo vision est reproduite permettant une vue 3D de la scène !
Cette solution est idéale dans le sens où elle offre un champ de vision total (de 360° aussi bien horizontalement que verticalement) ainsi qu’une vue réellement en 3D. En revanche, elle n’est pas supportée par tout le monde… Certaines personnes souffrant de cinétose, ou mal des transports, ne pouvent supporter le port d’un casque de réalité virtuelle sans ressentir de nausée.

3e sens participant à l'illusion : L'Haptique
Bien qu’il soit très souvent oublié, le sens haptique peut également être leurré par un simulateur afin d’augmenter l’immersion de l’utilisateur dans un monde simulé.
Un dispositif appelé butt-kicker (littéralement : botteur de fesses en anglais) permet d’émuler partiellement les chocs et vibrations qu ’un pilote pourrait ressentir dans son siège. Il s’agit d’un système mécanique qui une fois relié au siège du pilote va y transmettre chocs et vibrations afin de reproduire ceux du milieu simulé.
Très prisé dans le milieu de la simulation automobile où il permet de très bien retranscrire des informations telles que le régime moteur, les freinages ou les franchissements d’obstacles. Il est également adapté à la simulation aérienne où des évènements tels que les sorties de volets, de trains et autres turbulences aérologiques seront retranscrits de manière bien plus immersive.

4e et dernier sens à tromper : l'Equilibrioception
Pour finir nous allons nous intéresser au sens de l’équilibre qui a une grande importance dans le pilotage d’un avion. Non que le pilote utilise son sens de l’équilibre pour déterminer l’attitude de son aéronef, mais justement car il peut perturber cette perception et être lui-même source d’accidents.
En effet, le corps humain possède dans son oreille interne un capteur : le système vestibulaire. Il lui permet d’estimer son orientation par rapport à un champ gravitationnel. Ce sens nous est très pratique puisqu’il nous permet de garder l’équilibre, mais il peut également être la source de problèmes qu’il peut être important de représenter dans le cadre d’une simulation de pilotage. En premier lieu, c’est ce sens qui est responsable du mal des transports qui intervient quand les informations perçues par différents sens ne correspondent pas entre elles (sens de l’équilibre et vue en l’occurrence). Mais plus important dans le cas du pilotage d’un avion, c’est l’équilibrioception qui peut être la cause d’une désorientation spatiale, source d'accident.
Mal des transports
Le mal des transports est généralement causé par une incohérence entre les perceptions des mouvements du corps par le système vestibulaire et par la vue. Ce phénomène se produit notamment dans les transports où notre oreille interne détecte les mouvements du véhicule différemment de la vue (surtout si l’on regarde à l’intérieur du véhicule !). C’est le même phénomène qui touche les personnes sensibles à l’utilisation d’un casque VR. Dans ce cas, le cerveau est perturbé par l’incohérence entre les mouvements du monde virtuel projeté dans le regard qui ne sont pas captés par le système vestibulaire.
Une manière de soulager ces personnes et de leur permettre d’utiliser les technologie VR sans nausées serait donc d’être en mesure de leurrer leur sens de l’équilibre de la même manière que l’est leur vue.
Désorientation spatiale
La désorientation spatiale est quant à elle un phénomène propre à l’aéronautique qui intervient lorsque le pilote ne dispose plus de référence visuelle pour déterminer l’attitude de son avion (perte de visibilité de la ligne d’horizon). Dans ce cas, il s’en remet naturellement à son système vestibulaire qui dans la plupart des cas va lui transmettre une perception erronée.
En effet, notre sens de l’équilibre qui s’est développé durant notre évolution pour nous permettre de nous mouvoir à la surface de la Terre n’est pas adapté à la dynamique du vol. Un pilote privé de référence visuelle va donc instinctivement s’en référer à son sens de l’équilibre qui, perturbé par des évolutions dynamiques pour lequel il n’est pas adapté, va lui transmettre une mauvaise information.
Le fait d’être en mesure de reproduire cette perturbation de l’équilibrioception en simulation serait donc un grand plus tant en termes d’immersion que de qualité de la représentativité.
Emulation de l’équilibrioception en simulation
Bien que de manière imparfaite, les plates-formes mobiles à 3 ou 6 degrés de libertés permettent d’émuler en partie les stimuli que le monde simulé devrait transmettre au système vestibulaire du pilote.

Plateforme 6 DOF

Plateforme 6DOF avec grand débattement

Plateforme 3DOF
Partie 1 - Qu'est-ce que l'immersion ?
L’immersion est le fait de se retrouver dans un milieu étranger sans contact direct avec son milieu d’origine (cf. dictionnaire Larousse). En simulation, l’immersion peut être obtenue en trompant un ou plusieurs des sens...